x.Les Vents du Désert... [Free]

.C.h.a.u.d.
.L.e.n.t.
.C.h.a.n.s.o.n.
.I.n.t.a.c.t.e.

Il faisait beau cet après-midi là. Le Soleil tapait sur la Terre, changeant les feuilles des arbres en bouts de papiers luminescents, blancs comme une robe de mariée, légers comme de la soie. Le Vent, lui, dansait à son propre rythme, sous sa propre mélopée, doucement. Il faisait valser les rares fleurs qui méritaient ce nom, lentement, le pliant jusqu’au sol, puis sous un ordre sourd et muet, elles bondissaient vers le Ciel en offrant leur têtes colorées à la chaleur du jour.
L’eau attaquait furieusement les côtes, en vagues répétitives et puissantes, puis se calmait, faisait demi-tour en bonne comédienne, et revenait brusquement sur le sable, incessante à la tâche. Elle s’acharnait ainsi des heures durant, persuadée qu’un jour, les bouts de roche s’inclineraient à sa volonté.

Sur la plage de l’Institut Zéro, quelques rares galets brillaient au Soleil, se laissant faire, n’ayant d’autres choix que de laisser le Destin défiler devant leur masse immobile et immuable. Un peu comme certains des pensionnaires. Les Chimères. Un nom de monstre, comme dans la légende grecque où un héros de l’Antiquité devait tuer une bête horrible à corps de lion, arrière train de chèvre, langue de serpent et feu de dragon. Toutes les bestioles étaient combinées pour former le monstre parfait. Eh bien ce monstre se nommait « Chimère ». Autant dire que le grade de certains dans ce monde s’expliquait tout seul. Comme les galets, ils ne devaient rien faire, laisser l’eau les attaquer, le sable les enfouir, le Destin défiler, choisir ce qu’ils deviendront, comment et quand ils mourront, ce qu’ils devront ou ne devront pas savoir. Bref, tout pour plaire. C’était assez pathétique, voire trop pour tout dire. Décider ainsi de la « vie » des gens ne devrait pas être permis. Encore pire, c’étaient des expériences. Expériences. Ils prenaient alors le risque de rater, conscients malgré tout qu’ils mettaient des vies en jeu. Mais non ! Ils étaient vivants ! Oui, ils avaient un cœur qui bat, un cerveau qui fonctionne, des membres qui courent et qui bougent, et des cellules capable d’assurer leur rôle. Mais quelles cellules ! Certaines contenaient des gênes de chien, d’autres d’hibou, peut être encore de chameau, voire de caméléon. Comme quoi ces monstres étaient capables de tout.

Les cellules de la jeune fille qui flânait sur la plage étaient celles d’un oryx. Une sorte de grande gazelle du désert. Alors peut être que ses créateurs avaient pensé à l’hybride parfait. Rapide, endurante, résistante, intelligente, avec un sens de l’orientation a tout épreuve, capable de tenir plusieurs jours sans boire ni manger, sociable, en groupe, combattante... Tu parles, des clous ! Certes, elle était rapide, endurante, mais c’était tout. Ses besoins étaient restés les mêmes, et elle était encore moins sociable qu’à l’origine, il parait. Tout avait foiré. Elle avait été déclarée « Chimère » un an auparavant. Chimère. Ils n’avaient pas pu trouver mieux pour une expérience ratée, mix de deux êtres totalement différents. Tout ce qu’elle avait gardé, c’était une queue. Oui, vous avez bien vu, une queue. Une queue d’oryx, touffue, qui lui sevrait de joujou dans les grands moments d’ennui. Cette queue dépassait de la jupe courte, noire aux bandes blanches qu’elle avait mise aujourd’hui. La jeune fille était tout simplement pieds nus, sur le sable chaud de la plage. Ca faisait du bien. Une part d’elle aimait cela. Sûrement l’oryx. Ca lui faisait penser aux infinis déserts que d’autres parcouraient sans relâche, en troupeaux organisés, libres. Ca devait être beau à voir, toutes ces bêtes sauvages au galop, sous un Soleil de plomb, blanc a force d’être blond. Le Ciel devait être clair là-bas...
Elle fixa le Ciel, pensive. Sa chemise blanche flotta un moment sous un coup plus prononcé du Vent, puis revint à la normale. Ces pays lointains la faisaient rêver. Si bien qu’elle s’oubliait par moments, et ressentait quelque chose d’étrange, que les humains « normaux » devaient ressentir plus souvent.

Assise sur un rocher de la plage, la tête enfouie dans ses bras, Eufenia songea. Elle songea aux principes de la vie, à se demander ce qu’était la vie. Chose douce, rafraîchit selon les climats, mais parfois très cruelle. La jeune femme se demanda aussi le but d’entrer dans un institut comme celui-ci, sans vraiment de raisons particulières. En vérité, si l’on cherche bien, on l’a trouve la raison. Être une chimère, voila. Devenir une de ces bêtes vous encastre dans un mur. Vous ne pouvez y sortir, autrement l’on vous pointera du doigt comme quelque chose de sal, qui ne m’hérite pas de vivre. L’institut doit certainement soulager une de ces causes. Mais le reste doit être pris par la concernée. Tous le monde peut avoir des points de vues différents, mais on ne joue pas avec un humain qui sera considéré comme « raté » plus tard.

Relevant la tête pour observer les écumes de mer fouetter les roches, Eufenia fut éblouie par la vive lumière de l’astre de feu, et c’est avec peine qu’elle aperçut une silhouette féminine. Cette personne ne fixait rien en particulier. Un des nombreux sens de la chimère lui chuchota d’aller voir cette personne. Mais la conscience d’Eufenia l’en dissuada ; trop social à son goût. Malgré tout, Eufenia rêvait de la mer. Liquide froide, bleu, beau, aux rouleaux d’écumes qui calmeraient un troupeau d’animaux enragés.

Alors, pressée d’avoir les pieds dans l’eau, Eufenia se leva du rocher et vola jusqu’au rouleaux de mer. Arrivée à la même auteur de la demoiselle, ses ailes frôlèrent sa peau. Le vent soulevé par le battement d’ailes caressa le visage de la jeune fille et fit voler ses cheveux vers la mer.

Eufenia s’assit dans l’eau, face à la mer. Les rouleaux de plus en plus violent arrosaient la chimère. Elle aimait ça, peut importe si son corps serait trempé.

Leïa gardait les yeux dans le vide, les pieds dans l’eau claire, et s’était arrêtée. Ecouter le chant des vagues lui était suffisant pour vivre. La mélopée du vent la suivait partout, et sa queue valsait doucement avec lui. La jeune fille la laissait traîner. A sa guise. A son aise. Qu’elle fasse ce qu’elle veut. Libre. Pour une fois. Elle savait qu’elle n’était pas seule. Une présence. Il y avait quelqu’un. Des bruits. Il y avait quelqu’un. Des pas. Oui, il y avait quelqu’un. Mais elle s’en fichait. Il y avait beaucoup de monde dans cet Institut, et personne ne lui voulait franchement de mal. Non. De toute façon, a quoi bon ? Tout le monde avait déjà la part de mal qu’il lui fallait pour se plaindre. Pourquoi en rajouter aux autres ? S’amuser ? On était trop matures ici pour penser à ça. Penser à autre chose ? Comme si ça avait un truc d’intéressant... Passer le temps ? On passait déjà suffisamment de temps avec nos propres soucis...

Un souffle. Un bruissement. Quelqu’un avait troublé le calme de l’air. On l’avait froissé, comme on froisse une enveloppe dans laquelle vivent les gens. Les chimères, tous autant qu’ils sont, vivent en dehors de l’enveloppe. A l’extérieur, au vent, à l’air. Puis ils recollent à l’enveloppe pour respirer l’air pollué par les Illuminadores, et enfin repartent. Ainsi va le cercle maudit et perpétuel de leur vie.

Inspiration. Une plume douce et légère frôla lentement la peau claire de Leïa. Le temps s’arrêta un instant qui parut une éternité, puis la plume repartit. Expiration. L’air se souleva, respira, puis souffla avant de recommencer à tourner entre deux enveloppes. Quand l’autre jeune fille passa devant Leïa, celle-ci vit d’abord LE détail (qui n’en était pas franchement un) : une paire d’aile argentées plantées sur le dos de la fille, couvertes de plume à la façon de celles des anges qu’on voit sur les tableaux des grands artistes. En feuilletant des livres dans la bibliothèque, Leïa en avant vu, des anges. Cette fille y ressemblait. Elle avait des longs cheveux gris clair, libres et fiers, qui tombaient dans son dos comme une cascade lente.

Ce fut tout ce que la fille à l’oryx pu voir, mais c’était suffisant pour conclure que c’était elle aussi une chimère. Une fille qui elle aussi avait été changée en monstre, en demi - monstre.
La fille aux ailes s’assit au bord de l’eau, non loin de Leïa. Celle-ci la regarda avec une curiosité mal dissimulée. Elle n’avait pas vu beaucoup de gens de près, et c’était toujours bizarre de voir d’autres chimères, avec d’autres atouts. Comme Leïa, elle avait l’air jeune.
Peut être que les autres la prenaient elle aussi pour une gamine incapable et immature. Les gens sont bêtes. Ils ne font attention qu’a l’apparence. Et si on faisait une liste, ça prendrait trois nuits. Avec un léger soupir, la jeune fille s’assit à son tour, et regarda la mer. Les vagues dansaient à leur guise, elles allaient et venaient. Elle aurait aimé être une vague dans ses moments là. Son regard gris se posa sur la fille. Elle avait des ailes. Pourquoi restait-elle ici ? Ne pouvait elle pas s’envoler, s’échapper, trouver une liberté qu’on lui avait arrachée ? Se plaisait elle, ici ? Ouvrir ses ailes, respirer une dernière fois l’air gris de l’enveloppe, prendre son envol et s’enfuir, s’enfuir, partir, un soupir, mourir... Trop risqué, sûrement. Pas le droit, évidement. Injuste, forcément.

Leïa continuait de regarder sans vraiment s’en rendre compte la fille. Un regard vide, rêveur, peut être un peu trop...

Une fois assise dans l’eau, les écumes d’eau clair mouillaient ses ailes. Une irrésistible envie d’aller voir l’autre jeune fille, voila ce qu’elle ressentait. Curiosité mal saine de voir dans qu’elle état restait la demoiselle ? Ou ça simple moquerie habituelle des faibles ? Dans les deux cas, la cause ne résidait pas. Respirant calmement, c’est avec lassitude que son œil observa la mer, avec ces multiples reflets dorés. Certainement, en voyant les ailes de cette chimère, la demoiselle se demandait pourquoi elle ne partait pas. Cette question donnée d’un sens ambigu n’avait pas vraiment de réponse. Les généticiens créèrent cette chimère en sachant que ces ailes la porterait ailleurs qu’à l’institut. Mais quand vous êtes une de ces bêtes génétiquement modifiées, l’envie de sortir pour voir un monde extérieur vous échappe. Et dans ce monde externe, une famille qui voulait lui soutirer de l’argent et vous exterminer ne se pose pas devant vous comme une très bonne issue de secours. Les généticiens, en vous créant, ils savent bien que vous ne bougerez pas seul hors de l’institut. Une honte pèsera sur vous, vous seul. Alors quand, -effectivement- vous êtes seul, ce poids sur vos épaules se fait plus lourd, plus dur de jour en jour. On peut dire que cette chimère « succombera » à ces blessures. Même avec un caractère tel que celui d’Eufenia, une capture comme dans son passé est vite arrivée.

Malgré cette envie de voir de plus près -même de voir tout court- la demoiselle, Eufenia resta calme, posée, tout en respirant l’air marin. Le vent, comme une girouette changea de sens ; de face. Adorant la matière in capturable du vent et celle irrespirable du sable, la chimère prit une poignée de sable et la laissa glisser entre ses mains. Plusieurs fois, elle refit le même geste. Cette sensation du sable qui nous glisse entre les mains est un peu comme la vie qui nous échappe, parfois. On ne peut la retenir car une faille est toujours présente, tel le sable. Lorsqu’elle se perd, la vie s’éparpille partout, tel le sable. Continuant ce geste, Eufenia ne pensa pas que quelques grains de sable puissent aller vers elle. L’erreur de ne pas y avoir pensé, la demoiselle pesterait après elle. La suite, la chimère la connaît. Peut-être s’écrira-t-elle d’une toute autre façon.

Leïa tourna la tête, inspira, expira, soupira, puis ferma les yeux. Elle s'assit au bord de l'eau, prit sa queue dans sa main droite et commença à jouer avec, et de sa main gauche, tritura le sable chaud, qui lui coulait entre les doits, a l'instar du sable d'une sablier. Ses pieds, nus, trempaient dans l'eau salée de la mer qui s'amusait avec l'écume. Ca faisait du bien, d'une certaine faon, d'être ici, sur la plage. Un extérieur enfermé, un lieu atrificiel, si vivant pourtant...

Sa main gauche s'enfonça dans le sable qui l'avala et disparut. Puis le sable déglutit, et doucement, sa main ressortit, avec un coquillage. Il était blanc, lisse, et brillait au soleil. C'était joli, oui... Joli. Il ne bougeait pas, il était simple et doux, et il était joli. Mais que faisait il là, enteré dans le sable comme un vulgaire baton de sucette ? pPourquoi ne voyait il pas la mer ? Ne sentait il pas le vent sur son dos ? Quel gachis...
Doucement, Leïa posa le coquillage dans l'eau.
> Voilà... Tu y sera mieux que là dessous.... fit elle en murmurant.

Elle parlait à un coquillage... Sur le coup, elle n'eut pas l'impression d'être folle. Après tout, c'était mieux que de se jeter dans les bras de la première personne venue pour lui raconter tous ses tracs. Non, elle n'était pas cinglée. De toute façon, tout le monde, ici, est censé être chtarbé. C'était sa façon à elle. Tout le monde à une façon. Tout le monde. Elle, s'était de se parler toute seule.

L'autre fille ne bougeait pas. La fille à l'oryx eut le temps de la voir de plus près. Elle voyait ses yeux. Qu'ils étaient beaux ! Par rapport au gris terne des yeux de Leïa, ceux là étaient vert vif, émeraude, puissant. Ca allait très bien avec le gris de ses ailes et de ses cheveux. D'ailleurs, lisses et pointus, ses cheveux reflétaient une certaine part de liberté. Pas attachés, ils rapellaient les rapaces, le bec pointu des oiseaux de proie, le gris de leur pelage... Vraiment en harmonie avec son animal. Contrairement leïa, d'après elle-même. La seule façon de deviner qu'elle était maquée avec un oryx, c'était la queue. Elle ne se trouvait rien d'etraordinaire et se dévalorisait facilement. Un défault, d'après certains. Mais elle, elle n'y voyait pas une catastrophe. Après tout, si e monde pouvait lui laisser vivre sa vie tranquilou, ça irait certainement mieux.

La jeune fille le va les yeux, et regarda l'horizon. La mer était calme, aujourd'hui. Les reflets du soleil blanchissaient l'eau. Quelques vaguelettes se jetaient au pied des deux filles, en parfait ensemble. Quelques oiseaux volaient, cherchant un autre ailleur, ou bien simplement pour s'amuser. Les nuges se baladaient doucement.

Leïa sortit sa main gauche du sable, lacha sa queue et referma ses bras sur ses genoux en les ttrant contre elle. Elle aurait bien aimé enlacer quelqu'un comme ça, une amie, un ami, comme on en lit dans les livres... La présence du sable ne lui suffisait pas, bien qu'il comblât de nombreux moments en solitaire. L'oryx aimait le sable. Elle aimait la solitude. Ca lui suffisait. Mais elle aimait s'imaginer une autre vie, une autre elle...

Une part d’Eufenia se disait que l’autre demoiselle arrivait doucement à elle. Mais, non patiente de nature, elle ravala sa salive et s’enfonce un peu plus dans l’élan de la mer. Si cette étendue sauvage l’avalait, après tout, ce n’était pas grave. Sa nature d’oiseau était libre, mais en ce moment, un peu fatiguée. Les oreilles à l’affût du moindre bruit, elle entendit la douce et fragile voix de la personne qui, dans l’ombre, l’épiait. Elle ne savait pas avec qui la demoiselle discutait, mais elle présentait dans l’intonation de sa voix quelque chose de triste ; c’est comme si elle avait pitié de l’objet, ou de la personne. Quelque part, seule sur le sable, elle devait être en train de le plaindre, cet objet. Oui, pour dire vrai, d’un œil distrait, son regard avait percuté cette chose. Où plutôt ce coquillage, qui peu avant, avait le corps enfouit dans le sable. Rien à en redire, mais l’envie de laisser son corps dévaler la mer trottait dans la tête de la chimère oiseau.

Ses ailes, étendues au grand jour, elle s’allongea un peu, estimant que sa part de travail avec l’inconnue avait commencée, et se poursuivrait plus tard. Alors, s’allongeant de tout son long, et fermant les yeux, le corps d’Eufenia était inerte sur le sable chaud, face au soleil.